Des lois qui reconnaissent la nécessité de protéger le pastoralisme…et pourtant !!!

Il est important de relever la distorsion injustifiée entre une surprotection des loups et l’affaiblissement corrélatif de la protection du pastoralisme, dont la valeur environnementale et la contribution à un développement durable ont pourtant été reconnues par des lois successives depuis 1972, notamment aux articles L113-1 et L113-2 du Code Rural.

De nombreux espaces pastoraux sont également protégés au titre de la directive Habitats par leur intégration à des sites Natura 2000 ou dans le cadre d’arrêtés de protection de biotopes. On oublie aussi que ce fut grâce à une symbiose des protagonistes politiques, administratifs et techniciens pastoraux que la loi du 3 janvier 1972 relative à la mise en valeur pastorale a vu le jour, et a été le précurseur de la première loi montagne de 1985. Le pastoralisme doit absolument être l’objet d’un nouvel intérêt politique et législatif pour ne pas disparaître au détriment de la protection du loup qui n’est pas une espèce menacée (Cf. arrêté du 27 mai 2009 modifiant l’arrêté du 9 juillet 1999 fixant la liste des espèces de vertébrés protégées menacées d’extinction en France), et dont la définition juridique, indispensable à l’application de son régime de protection, n’a jamais été précisé. Par ailleurs, sommes-nous sûrs de protéger des loups exclusivement dignes d’intérêt au titre de la conservation de la biodiversité ou protégeons-nous également, à grands frais, des spécimens hybridés qui risquent de « polluer » l’espèce en lui faisant perdre ses caractéristiques génétiques ? Il est urgent que les élus posent cette question qui appelle une réponse claire et sans concession tant l’enjeu environnemental, sociétal et financier est important. Le Pays et les éleveurs en particulier ont droit à la vérité.

 

 

1) Le statut légal du pastoralisme

2) La relativité de la protection des espèces

3) L’atteinte à la dignité des éleveurs et au bien-être de leurs animaux

 4) Le paradoxe des chiens de protection de troupeaux

 

1) Le statut légal du pastoralisme

À travers de nombreux textes, le législateur n’a cessé d’affirmer sa volonté de développer et de préserver le pastoralisme en lui construisant un véritable statut juridique, notamment par la loi du 3 janvier 1972 relative à la mise en valeur pastorale dans les régions d’économie montagnarde.

Ce statut juridique se compose des éléments suivants :

  • Les structures juridiques spécifiques créées par la loi de 1972 pour renforcer, développer et sécuriser juridiquement l’espace pastoral et sa gestion collective : associations foncières pastorales, groupements pastoraux, conventions pluriannuelles de pâturage (Cf. Quentin Charbonnier – « 1972, la loi pastorale française » – coédition Cardère et Association Française de Pastoralisme).
  • La définition juridique, apportée par la loi du 22 février 2005 sur le développement des territoires ruraux, de l’espace pastoral (cf. article L113-2 du Code Rural qui le définit comme « les pâturages d’utilisation extensive et saisonnière »). Ce souci de définition de l’espace pastoral par le législateur, qui est suffisamment rare pour être souligné, manifeste sa volonté de protéger l’espace pastoral pour lui-même et de ne pas le dissocier de l’activité pastorale au risque de transformer celle-ci en simple service éco-systémique.
  • La reconnaissance de la valeur environnementale du pastoralisme par l’article L113-2 du Code Rural. Le pastoralisme contribue d’ailleurs directement au développement durable par sa conciliation de la mise en valeur de l’environnement, du développement économique et du progrès social, au sens de l’article 6 de la Charte constitutionnelle de l’environnement – intégrée au bloc de constitutionnalité – qui prescrit aux politiques publiques de promouvoir un développement durable, ce que n’est pas en capacité de réaliser l’actuelle politique publique de protection du loup. Il serait intéressant de s’interroger, par un contrôle dit « du bilan », sur l’excessivité du coût et des atteintes portées par la politique publique de protection du loup à l’environnement, à l’économie et au progrès social dans les territoires ruraux. On se trouve en effet à rebours des principes suivants posés par l’article L110-1-II du Code de l’Environnement : principe de solidarité écologique, principe de l’utilisation durable, principe de complémentarité entre l’environnement et l’agriculture, principe de non-régression, principe de développement durable qui doit garantir la cohésion sociale, la solidarité entre les territoires et les générations, et l’épanouissement de tous les êtres humains.

 

2) La relativité de la protection des espèces

Il faut en effet relativiser l’objectif de protection de certaines espèces et comprendre que la finalité de cette protection pour le Législateur a été le maintien d’un environnement vivant et vivable.

  • Ainsi, l’article 1er de la loi du 10 juillet 1976 qui instaure le régime de protection d’espèces animales et végétales énonce que le but visé ne saurait se réaliser sans le maintien des populations vivant en milieu rural. La nécessité soulignée d’un équilibre entre les citadins et les ruraux traduit la conception d’une protection par l’homme et pour l’homme, en tenant compte des exigences économiques, sociales, culturelles et régionales. La philosophie de la loi, comme celle de la Directive Habitats du 21 mai 1992, est de protéger la faune et la flore pour améliorer la qualité de l’environnement, mais aussi pour transmettre aux générations futures un patrimoine naturel préservé. La volonté du législateur s’est clairement exprimée par « le souci de voir les populations locales se maintenir dans leur habitat naturel, et continuer à exercer leurs activités traditionnelles ». L’importance de la ruralité et son rôle déterminant dans l’accomplissement de l’objectif de protection était formellement souligné par le ministre : « quels sont les meilleurs défenseurs de l’espace naturel, sinon les hommes qui y vivent, y travaillent et désirent conserver à leur environnement toutes ses qualités. »
  • La loi sur la biodiversité du 08 août 2016,

– confirme ce principe de complémentarité entre l’agriculture porteuse d’une biodiversité et l’environnement (Cf. article L110-1-II-8° du Code de l’Environnement) ;

– Reprend la notion de patrimoine commun de la nation, qui trouve ses sources dans la loi du 10 juillet 1976 (Cf. article L110-1-I du Code de l’Environnement). Or on observe une disproportion entre les avantages apportés par le développement des populations de loups et les dégâts directs et indirects produits par leur prédation sur les animaux d’élevage, leurs éleveurs et bergers, et la déprise des terres pastorales.

À cette disproportion s’ajoute le questionnement apporté par la constatation du développement d’une population de loups hybrides qui remet en cause l’intérêt et la pertinence du système de protection actuel du loup.

  • Le cadre juridique de protection de la Directive Habitats (articles 12 et 13),

Cette réglementation impose aux états membres l’obligation d’adopter un ensemble de mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif, qui assurent le maintien à long terme ou le rétablissement de la population de l’espèce considérée dans le type d’habitat naturel auquel elle appartient.

Cette protection ne concerne les espèces que dans leur aire de répartition naturelle, laquelle, selon le Conseil d’État, ne se limite pas au territoire national, mais prend en compte également les effectifs de meutes de loups présentes en Italie. Par ailleurs, toute destruction de loup est interdite dans la nature, ce qui amène à s’interroger a contrario sur la possibilité de les prélever quand ils sortent de cette « nature », et qu’ils s’introduisent dans des zones ne correspondant plus à des habitats naturels (à proximité de zones urbanisées : villages…). La présence de loups à proximité des habitations doit être traitée par les élus comme un problème urgent de sécurité publique. Des dérogations sont possibles non seulement « pour prévenir des dommages importants à l’élevage », mais aussi « pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ». N’y a-t-il pas là matière à sortir du dogme d’un régime de surprotection du loup, en s’intéressant à la définition concrète des autres cas de dérogation ainsi prévus par la directive ?

Force est de constater que s’est développé, en dehors du champ légal, administrativement, sociologiquement, voire psychologiquement, un habitus de protection intangible et rigide des loups, détaché du véritable objectif de sa protection, sans fondement juridique, et contraire à la ratio legis (Cf. l’abus de langage illustrant cette dérive, p.9 de la circulaire du 27 juillet 2011 : « … La poursuite de deux objectifs d’intérêt général, à savoir la préservation des populations de loup et le maintien des activités de pastoralisme et d’élevage, justifie a priori de n’indemniser que les éleveurs ou les professionnels au sens large. … ».

Or l’objectif de « préservation des populations de loup » n’est nullement reconnu en soi comme d’intérêt général par la loi, laquelle, en revanche, reconnaît expressément cet objectif d’intérêt général pour le pastoralisme à l’article L113-1 du Code Rural.

 

3) L’atteinte à la dignité des éleveurs et au bien-être de leurs animaux

Par l’effet d’une véritable propagande et d’un marketing intense – le loup étant un très bon produit commercial, culturel, touristique, affectif – s’est opéré un véritable renversement de paradigme à deux niveaux :

– au niveau du régime de surprotection de l’espèce loup par le développement dans les esprits de son image symbolique du « sauvage », qui a pris le pas sur la protection d’une activité d’élevage pourtant reconnue par le législateur pour sa contribution au développement durable ;

– au niveau de la valeur intrinsèque et juridique d’un loup, beaucoup plus estimé qu’un animal d’élevage si l’on se réfère au nombre d’animaux domestiques tués par rapport à celui des loups abattus, dans des conditions de souffrance que l’on ne tolérerait pas pour le prélèvement de loups.

Ce renversement de paradigme est d’autant moins explicable juridiquement que l’intégrité et la sensibilité de l’animal domestique sont des valeurs protégées par le droit, notamment pénal, qui incrimine les mauvais traitements, l’abandon, la destruction volontaire ou non des animaux domestiques, mais pas des animaux sauvages qui ne sont protégés qu’à travers l’espèce à laquelle ils appartiennent. Cette situation inversée est bien loin d’honorer le concept de bien-être animal pourtant pertinent dans l’évolution de la relation homme-animal. L’éleveur et ses bêtes ne vivent pas « l’idée de loup » mais la « réalité des loups », or cette réalité est en train de détruire le pastoralisme, le sens-même du travail des hommes qui y contribuent, et de les déraciner.

Par ailleurs, la circulaire du 27 juillet 2011 sur l’indemnisation des dégâts causés par les loups ne respecte pas les droits des éleveurs en ce qu’elle viole le principe du contradictoire, en ne prévoyant pas leur accès aux informations et indices matériels relevés par l’administration pour établir la présence ou non du loup, et organise un simulacre de recours qui ne permet même pas aux éleveurs de faire valoir les indices qu’ils ont relevés sur le terrain lors de l’attaque, et notamment les prélèvements génétiques.

S’agissant du bien-être des animaux, l’article L214-1 du Code Rural dispose : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. » Il est évident qu’une zone de prédation est incompatible – y compris avec des mesures de protection – avec les impératifs biologiques des brebis qui ont besoin de manger sur des espaces étendus avec tranquillité et en prenant le temps nécessaire. Brebis et agneaux ne doivent pas se retrouver confinés en bergerie, à l’encontre des impératifs biologiques de pratique pastorale, et alors même que notre société aspire de plus en plus à consommer des produits naturels et de qualité. En application de l’article L214-5 du Code Rural, un Centre national de référence sur le bien-être animal a été créé le 28 février 2017. Piloté par l’INRA, ce centre, prévu par la Loi d’Avenir pour l’agriculture, est une mesure phare du Plan d’action 2016-2020 sur le bien-être animal au cœur d’une activité durable, lancé par le ministre de l’agriculture en avril 2016. Il est essentiel maintenant que ce plan d’action se concrétise aussi par une mission d’étude de l’impact de la prédation lupine et des mesures de protection sur le bien-être des animaux d’élevage.

 4) Le paradoxe des chiens de protection de troupeaux

a) L’absence de réglementation des chiens de protection de troupeaux

D’un côté, le Législateur a encadré très rigoureusement la situation des chiens dangereux, mordeurs, à risque (lois n° 99.5 du 06.01.1999 ; n° 2001.1062 du 15.11.2001 ; n° 2007.297 du 05.03.2001 et n° 2008.582 du 05.03.2007) en organisant de manière très précise :

  • leurs conditions de détention (délivrance d’un permis de détention, formation, stérilisation des chiens de la première catégorie, évaluation comportementale… Art. L211-12 et suivants du Code rural) ;
  • les pouvoirs de police du maire (et du préfet par substitution, art. L211-11 C. rural) en cas de danger ;
  • et en incriminant sur le plan pénal les manquements à cette réglementation (détention illégale de chiens de première ou deuxième catégories, blessures involontaires par agression de chiens,…). Mais d’un autre côté, l’État finance l’achat et l’entretien des chiens de protection dans le cadre de l’OPEDER (Opération de Protection de l’Environnement Dans les Espaces Ruraux, portant sur la protection des troupeaux contre la prédation ; cf. arrête du 28 juillet 2004, art. D114- 11 et suivants du Code rural).

Pourtant, il s’agit de chiens de type molossoïde, puissants :

  •  qui interviennent en espaces publics, de plus en plus souvent en meutes, notamment sur des sites répertoriés pour des randonnées souvent inscrites aux PDIPR (Plans Départementaux des Itinéraires de Promenade et de Randonnée) ;
  • soumis à un stress permanent (travaillent de jour comme de nuit) et auxquels on demande de repousser les loups, voire de se battre avec ;
  • qui font partie des mesures de protection les plus utilisées par les éleveurs, conditionnant leur indemnisation.

b) L’impossible rôle des maires (Cf. page 80 du rapport de juin 2010 : le double rôle que l’on veut faire supporter aux maires : celui de responsable de la police des chiens de protection, et de médiateur social…)

  • Le rôle du maire en matière de police des animaux et chiens dangereux

Art. L 2212-2 7° du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) : « le soin d’obvier ou de remédier aux évènements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces », relève des pouvoirs généraux de police municipale.

Art. L 211-11 et suivants du Code Rural : ces articles visent les pouvoirs spécifiques de police du maire (et du Préfet par substitution) pour pallier les dangers présentés par les chiens dangereux, et les mesures à prendre en cas de morsures. Le maire et sa commune pourraient voir leur responsabilité engagée en cas d’absence de disposition prise ou en cas d’absence de mise à exécution de ces dispositions pour prévenir tout danger grave provoqué par ces chiens.

  • Or, le maire peut difficilement constituer l’autorité de police des chiens de protection car :

– il s’agit d’un problème de sécurité publique qui se circonscrit très rarement au territoire d’une seule commune ; d’ailleurs, lorsque l’estive se situe sur le territoire de plusieurs communes, c’est au Préfet qu’il appartient de prendre les mesures de police en application de l’article L 2215-1 3° du CGCT.

– les situations de police spécifiques prévues par le Code Rural concernent des problèmes d’errance ou de conditions de garde de chiens domestiques, et non des difficultés liées à des conflits d’usage ou à des conditions d’utilisation de chiens de travail préconisés et financés dans le cadre d’une politique publique de protection d’espèces prédatrices.

– les mesures prévues par le Code Rural ne sont pas adaptées à la situation des chiens de protection : l’évaluation comportementale en cabinet vétérinaire des chiens de protection, le port de la laisse, de la muselière ou l’attache d’un chien de protection, le retrait du chien par les services municipaux (dans des petites communes le plus souvent sous-équipées pour cela, faute des ressources et moyens nécessaires).

Sujets d’inquiétude pour l’avenir :

– les ratios de nombre de chiens préconisés par nombre de bêtes à protéger ;

– le lien entre mesures de protection et conditions d’indemnisation.

Justice

Article L 113 du Code Rural alinéa 8 :

« 8° Assurer la pérennité des exploitations agricoles et le maintien du pastoralisme, en particulier en protégeant les troupeaux des attaques du loup et de l’ours dans les territoires exposés à ce risque »

loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité

(cette loi a étendu l’objectif des associations foncières

pastorales dans une finalité environnementale)

Article L.113-2 du Code Rural

« L’espace pastoral est constitué de pâturages d’utilisation extensive et saisonnière. Dans les régions où la création ou le maintien d’activités agricoles à prédominance pastorale est, en raison de la vocation générale du territoire, de nature à contribuer à la protection du milieu naturel, des sols et des paysages ainsi qu’à la sauvegarde de la vie sociale, des disposition adaptées aux conditions de ces régions sont prises pour assurer ce maintien »

L’article 60 de la loi du 28 décembre 2016 de protection des territoires de montagne (intégrée à l’article 1 du Code Rural)

«  la politique en faveur de l’agriculture (…) concourt au maintien de l’activité agricole en montagne, en pérennisant les dispositifs de soutien spécifiques qui lui sont accordés ( …) pour lutter contre l’envahissement par la friche de l’espace pastoral et pour préserver cette activité agricole des préjudices causés par les actes de prédation qui doivent être régulés afin de préserver l’existence de l’élevage sur ces territoires. Aux fins de réaliser ce dernier objectif, les moyens de lutte conte les actes de prédation d’animaux d’élevage sont adaptés, dans le cadre d’une gestion différenciée, aux spécificités, notamment ceux de montagne »